Nos animaux, chers et humains

 

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Du plus loin que je me souvienne on a toujours un ou des animaux à la maison.

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Et ils ont toujours été considérés à l’égal des humains.

Je me rappelle Tomy, qui nous accompagnait dans toutes les promenades, à la mer et dans les bois.

 

Mais c’est surtout sa disparition qui m’a marquée, à travers le chagrin de mon père qui l’a enterré dans le jardin, côté nord. Je l’ai vu, triste, creuser le trou. J’ai vite compris que les chiens, comme les autres animaux, vivaient, en plus court, ce que nous sommes tous appelés à connaître : une existence limitée. A trois ans je savais que nos compagnons nous quitteraient un jour, mais cela n’a jamais allégé la tristesse de leur départ.

En attendant, on profitait de toute la joie et la complicité qu’ils nous apportaient.

Ensuite, il y eut Fido, le berger allemand, grand, fort et doux comme un chaton. Il était toujours là, dans tous nos jeux, et, comme tous les chiens qui nous côtoyaient, son affection pour notre père était sans limites.

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Mais un jour, il y eut des cris et grognements devant la véranda.

Mes soeurs et moi, affolées, nous nous précipitons. Mon père tient Fido d’une main et de l’autre tente d’éloigner un agresseur, prêt à foncer sur notre chien, la mâchoire menaçante. Les deux bêtes tournent autour de lui qui se courbe vers eux, entre eux, entraîné par leur mouvement.

Soudain, on entend un cri différent. Fido vient de planter ses crocs dans la main qui voulait le protéger. L’autre surpris, s’éloigne en grondant, mais la main dégouline de sang, ma mère est accourue. Tout le monde est stupéfait, je vois encore nettement le trou rouge et profond.

Ma mère dit :

-Il ne faut pas garder ce chien.

Mon père répond :

-Ce n’est pas sa faute, il n’a pas voulu me mordre.

Il réussit sans mal à nous convaincre que c’était simplement le résultat de l’affolement.

Fido, triste et penaud, semble avoir compris et s’approche de mon père qui le caresse comme d’habitude. Il est aussi inoffensif qu’avant.

Quelques mois plus tard, il se met brusquement à trembler et à baver. Cela a commencé avec des frissons, comme sous l’emprise d’une très forte fièvre et puis, c’est devenu plus violent, carrément convulsif. On ne comprend pas ce qui se passe, mon père l’entoure de ses bras, le caresse, tente de le réchauffer, mais le grand chien se couche, ses pattes se raidissent et ses yeux se ferment.

Mes soeurs et moi pleurons notre ami, on pense qu’il va mourir, là, devant nous.

 Jamais, nous n’avons jamais assisté à une scène aussi triste (on est très jeunes encore). Mon père a couvert son compagnon d’une chaude couverture et lui parle doucement. Une demi-heure passe, Fido halète, bave encore, tremble mais plus doucement. Il va peut-être tenir le coup, on va pouvoir le soigner, il semble revenir, peu à peu, d’une espèce de crise nerveuse.

Puis, tout se calme, on dirait qu’il dort. On regarde mon père qui a l’air un peu rassuré.

Le vétérinaire donnera le diagnostic suivant : épilepsie. Il lui faudra régulièrement des comprimés de Gardénal.

 

Puis, il y eut Yéti. A ce moment-là nous étions parties ou sur le point de partir de la maison, chacune vers sa nouvelle vie, ses études. Je ne sais où notre père l’avait récupéré, il portait bien son nom, tellement bâtard qu’aucune race n’était plus visible dans sa drôle d’apparence. On peut dire qu’il avait tout de même quelque chose d’un berger allemand aussi, mais en petit, le poil fauve, gris, roux, rêche, sans couleur dominante. Et sale, sale et crotté de sa vie d’errance. Quand il était arrivé dans notre appartement brestois, il avait fallu le plonger dans la baignoire. Je ne sais s’il y avait pris plaisir, mais mon père l’avait lavé avec savon et shampooing avant de nous le présenter. Nous n’eûmes guère beaucoup d’intimité avec lui puisque nous n’avons pas partagé son quotidien. Mais mon père l’aimait.

Nous grandîmes, quittâmes vraiment la maison, nous eûmes des chats, moins encombrants que des chiens, un peu plus indépendants.

Et, désormais, chacune son chat ou ses chats.

Une de celles qui ont le plus compté pour moi est Mandarine. De sa mère persane elle avait les yeux jaunes, le nez un peu écrasé, un magnifique poil gris et une nonchalance orientale.

Un jour, dans un appartement en duplex avec une terrasse donnant sur la pente d’un toit, elle enjambe la balustrade et je la vois descendre, avec son élégance tranquille jusque dans la gouttière, deux mètres plus bas. Oui, mais comment remonter ? Le temps passe, elle me regarde, se rend compte qu’elle est coincée, là, sur le rebord du toit. Elle miaule, je l’encourage, accroche-toi, minette, remonte ! Mais elle est un peu lourde. Je file chercher un panier très ouvert que j’accroche à une corde longue et mince et le fais glisser le long des ardoises. Elle le regarde, le renifle et grimpe dedans ! Je remonte délicatement le tout et voilà ! Pas si bête la placide Mandarine !

Elle qui a vécu ses quatre premières années en appartement s’adaptera sans problèmes à la vie de maison avec jardin où elle découvrira les joies de se rouler dans l’herbe et le soleil, et de chasser le mulot.

Un jour, bien plus tard, après des mois difficiles, je devrai finir par la conduire chez le vétérinaire. On connaît tous cela, vivre avec un animal c’est aussi avoir à prendre cette décision. Chagrin.

Cependant, Mandarine avait eu de la descendance et il n’y a rien de plus joli et amusant que des chatons qui grandissent, pleins de fougue, de malice. Quelques années auparavant, elle avait eu une petite portée, la raison m’avait fait chercher des “parents adoptifs” et nous avions gardé un chaton à cette fin. Du moins croyions-nous en avoir gardé un seul. Mais ma voisine, Chantal, venue admirer le bébé, se penche vers la cachette, sous l’escalier, et me dit :

-Oh ! Il est adorable, ce petit chat, le petit noir !

-Noir ? Non, gris-clair. C’est parce c’est très sombre là-dedans.

– Je t’assure il est bien noir, regarde ! Elle l’attrape et me le tend.

Ce n’était pas celui que nous avions gardé, il était probablement né une heure ou deux, ou trois, après l’autre, et avait échappé à notre vigilance. A présent, trop tard, il était là et le resta quand son frère gris rejoignit sa famille adoptive.

Il garda le nom de “Petit chat”, au risque du ridicule quand il devint adulte, puis plus vieux.

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Chaque animal a sa personnalité, mais celui-là était un “amour de chat” comme on dit, je ne trouve pas d’autre expression qui lui convienne mieux, tant il vivait d’affection (en plus de pâtée et croquettes, bien sûr). Il était rond (de son ascendance persane, il restait tout de même quelque chose), ses yeux jaunes scintillaient dans sa fourrure très noire. Il avait de grosses pattes et marchait avec un léger dandinement qui lui donnait une allure un peu précieuse. Ses griffes impressionnantes n’ont jamais servi qu’à écorcher, arbres, tapis et quelques fauteuils.

Il mangeait de petites boulettes de pain, dans les bras de Léonor, juste pour lui faire plaisir, et s’endormait en ronronnant dans le creux de son aisselle. Quand sa mère a disparu, il est devenu, plus que jamais, l’objet de toutes nos attentions et se lovait avec délices dans ce cocon d’affection. Il était difficile à prendre en photo car il fallait un fond clair pour que le noir de sa fourrure n’absorbe pas toute la lumière. Là, ses paupières légèrement tombantes lui donnent un air somnolent, mais il était vif et malicieux, notre “Petit Chat”.

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Le temps passant, l’idée a doucement germé d’un autre compagnon. Nous avons pris notre temps, regardé les annonces, et finalement, décidé d’adopter. L’association à laquelle nous nous étions adressés faisait les choses dans les règles. Il fallait montrer son sérieux, sa volonté et sa maison. C’est ainsi qu’un soir, après l’école, nous voilà en route, avec “l’assistante sociale des chats”, un panier neuf, une petite laisse pour les premiers jours, et notre enthousiasme pour rencontrer sa protégée.

Coup de foudre, elle était superbe avec son poil long tigré et tout frisé sur le ventre, son petit nez en coeur, et ses yeux étonnés. Elle avait l’air et l’allure d’une princesse, mais venait de la rue et avait dû se débrouiller seule avant d’être récupérée. Elle s’adapta très vite à la confortable vie de famille, mais “Petit chat” mit plus de deux mois à tolérer cette intruse qui se comportait en fille de la maison. Il en était malade, grognait, ronflait, grondait, fuyait, se réfugiait dans la cabane ou sous les meubles. Impuissants, on s’interrogeait sur le bien-fondé de notre décision, mais la belle nous avait conquis dès le premier jour. On finit par se demander s’il fallait chercher un vétérinaire psychologue. Petit à petit, heureusement, voyant que, décidément, elle s’était installée, il prit son mal en patience, revint vers nous, et ne pouvant faire autrement, il finit par tolérer sa présence. Mais pas plus.

La malicieuse lui faisait des farces, l’agaçant de petits coups de pattes (sans sortir les griffes), tournant autour de lui à toute vitesse, et jouant régulièrement à saute-mouton par dessus lui, sans lui demander son avis. Elle était leste et rapide, il avait à peine le temps de se retourner, qu’elle était cachée dans un coin, et surgissait à nouveau là où il ne l’attendait pas.

On vécut des années avec ses deux-là, commentant leurs facéties, s’attendrissant sur leurs attitudes et leurs petites manies. Comme tous ceux qui fréquentent de près ce genre d’animal.

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Un jour, on acheta une maison à la campagne, projection de nos rêves de vie tranquille dans un petit village, où l’on transportait désormais nos chats, chacun dans son panier. Noisette s’acclimata vite à la voiture. Pour Petit Chat, ce fut, toujours, un moment de terreur, que nos paroles et caresses n’apaisèrent jamais. Une fois là-bas, cependant, et après quelques mois d’adaptation, tout le monde semblait avoir trouvé ses marques.

Le deuxième été, Noisette, jeune et audacieuse, avait compris qu’en escaladant le grillage donnant sur la grande prairie aux vaches, elle aurait un rayon d’action sans limites pour la chasse aux mulots. On n’aimait pas ces heures interminables où elle disparaissait. Si elle n’était pas rentrée à dix heures le soir, on commençait à s’inquiéter et à la maudire. On finissait par laisser les baies ouvertes et aller se coucher. Le plus souvent, elle nous sautait dessous vers trois ou quatre heures du matin, sa fourrure pleine de brins de paille, d’herbes sèches, de petites boules de terre, selon ses errances. C’était comme ça, il fallait bien admettre qu’ il était dans la nature d’une jeune chatte de courir dans les prairies et sur les talus.

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Un matin, comme un autre, elle s’en alla, guillerette, vers ses rêves de chasseuse et ne revint pas. Le premier soir, on ne s’inquiéta pas trop. Au petit matin, ma main tendue ne rencontra pas de fourrure douce. Elle allait revenir tranquillement dans la matinée, il fallait se rassurer. Mais ni ce jour-là, ni les suivants, on ne revit Noisette. On battit tous les fossés, on fit le tour de toutes les maisons, on sillonna tous les chemins, les petites routes, les bords des champs. On mit des annonces à la mairie et chez le vétérinaire du bourg. Rien. Tous les voisins étaient au courant, mais personne ne l’avait vue.

L’histoire de la jolie chèvre de M. Seguin m’obsédait. Tous les soirs, Philippe scrutait les lointains de la prairie comme une femme de marin qui guette le retour incertain des pêcheurs.

La prairie était immense et vide.

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Les ombres s’étiraient. Dans les creux des herbes, je croyais apercevoir une fourrure rousse, ce n’était qu’illusion.

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Ce fut un atroce été durant lequel on se racontait tous les jours une version différente de ce qui avait pu se passer. Mangée par un renard ? (version très probable) Heurtée et blessée par une voiture ? (possible), enlevée par des enfants fascinés par sa beauté ? (ce qu’il y aurait eu de mieux). Combien d’hypothèses avons-nous formulées ainsi. Rien ne nous distrayait de cette perte, de ces incertitudes. Fin août, il fallait se rendre à l’évidence, elle ne reviendrait pas. Chacun y allait de son histoire de chat perdu, errant, puis adopté. J’essayais d’y croire, nous étions tristes. A chaque week-end, je faisais encore d’inutiles tours du village, personne n’avait vu notre petite chatte.

Un vendredi soir de novembre, nous descendions la petite route qui mène au village, entre deux prairies, le jour commençait à décliner, je regardais les vaches paisibles comme dans un tableau du 19ème, et là, je vois un chat, dans ce grand champ. Un chat qui ressemble au nôtre. C’est la nôtre ! A un kilomètre du village ! On s’arrête, l’appelle, elle tourne la tête vers nous, hagarde, je saute les fils électriques, avance doucement en tremblant, elle ne bouge pas, je ne sais si elle me reconnaît. Je dis son nom doucement, elle se laisse prendre, mais ne manifeste rien.

Elle était maigre, apeurée, épuisée. Les premiers jours, elle mangeait, dormait, et c’était tout, on ne la retrouvait pas vraiment telle qu’elle était, avant. Elle avait dû survivre, comme elle avait pu, comme un petit animal toujours sur ses gardes, gagnant sa pitance à la force de ses griffes et de ses crocs.

C’est un miracle de l’avoir retrouvée, et un mystère aussi, car elle n’était pas loin, pourquoi n’avait-t-elle pu rentrer ? On ne saura jamais ce qui s’est passé. Il lui faudra un peu de temps et de soins pour se décontracter, retrouver son poste de guet au coin de l’escalier et sa vie facile de chat bien nourri. Parce qu’enfin, les mulots et les souris, c’est bien quand on ne peut pas faire autrement, mais ça finit par détraquer complètement l’estomac !

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Quelques semaines plus tard la vie avait repris son cours.

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Voilà huit ans de cela, Noisette vieillit doucement, Petit chat nous a quittés un matin sans se rendre compte de quoi ce soit.

Ils sont nos chers compagnons, partagent notre quotidien, reçoivent notre affection et nous en donnent plus encore, ils sont aussi  le reflet de ce que nous vivons avec les êtres humains. Nous les chérissons d’autant plus qu’ils ne sont pas éternels.

Des histoires de chats, nous en avons plein le coeur et la mémoire, ils ponctuent nos vies. Les chattes de mon père qui le suivaient partout, du lit au jardin, et dont la fin fut un grand chagrin. Une petite Isis au caractère bien trempé, qu’il fallut conduire, beaucoup trop jeune, chez le vétérinaire pour lui éviter des souffrances, et dont le souvenir est encore douloureux. Et puis beaucoup d’autres qui ont enrichi nos vies de tendresse, de grâce, de facéties, et nous consolent un peu de ceux qui ne sont plus là.

 


4 thoughts on “Nos animaux, chers et humains

  1. Quelle belle narration…. les souvenirs remontent, je me souviens d’avoir gardé Mandarine qui avait trouvé une cachette incroyable, le tiroir de ma table de boucher… impossible de la trouver quand tu étais revenue la chercher… ça avait duré longtemps, longtemps… grâce à son séjour à la maison j’ai eu aussi envie d’avoir un chat au plus grand plaisir de mes 3 enfants ! et là… que de moments inoubliables !

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    1. Chère Viviane,
      Et moi, je me souviens d’un jour où la petite chatte que tu venais d’adopter était partie, aussi, se promener sur d’autres terrasses. Tu étais affolée, et puis, dans la soirée, elle est revenue toute seule.Je me rappelle ton coup de fil dans la soirée pour me dire que tout allait bien et qu’elle était là.
      Merci,
      Marylène

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